On appelle déspécialisation, le changement de destination des lieux. En effet, la destination contractuelle des lieux constitue un élément essentiel du contrat de bail commercial. Une possibilité de déspécialisation partielle, et de déspécialisation totale, est donc strictement encadrée par les textes.
Généralement, le bail prévoit expressément l'exercice d'une ou plusieurs activités commerciales, la destination pouvant être formulée avec plus ou moins de précision. Il peut être donné une liste limitative des activités autorisées.
Le locataire doit respecter cette destination arrêtée conventionnellement.
Pourtant, pour éviter que l'intangibilité de la destination ne fasse obstacle à toute évolution, le législateur a autorisé la déspécialisation aux termes des articles L. 145-47 à L. 145-55 du Code de commerce. Ces textes prévoient une possibilité de déspécialisation partielle, et une possibilité de déspécialisation totale.
Les textes relatifs à la déspécialisation sont d'ordre public, c'est-à-dire qu'il ne peut y être dérogé conventionnellement en défaveur du preneur.
Déspécialisation partielle
La déspécialisation partielle est l'opération par laquelle le locataire ajoute à l'activité commerciale prévue dans son bail, une ou plusieurs activités nouvelles qui sont connexes ou complémentaires à la sienne.
1. Caractère connexe ou complémentaire
Il n’existe pas de définition légale de ce caractère ; les juges l’apprécient souverainement en fonction de chaque cas d’espèce. Certains critères sont cependant fréquemment retenus par la jurisprudence :
- l'identité de la clientèle ou de la catégorie de produits,
- la similitude des méthodes de travail,
- l'identité de matières premières,
- l'identité du fabricant (toutefois ce critère n’est pas suffisant à lui seul)
La jurisprudence exige souvent la réunion de plusieurs des critères précités.
2. La procédure de déspécialisation partielle
Avant de procéder à toute extension d’activité, le locataire doit faire connaître au propriétaire ses intentions en précisant les activités nouvelles projetées. Cette notification doit obligatoirement être faite par exploit d’huissier ou par lettre recommandée avec accusé de réception. En l’absence de notification, le locataire encourt la résiliation de son bail.
Remarque : la déspécialisation partielle est un droit pour le locataire. En conséquence, la notification préalable ne constitue pas une demande d'autorisation, mais tout simplement une information donnée au propriétaire. Le bailleur ne peut pas s'opposer à la déspécialisation dès lors que celle-ci porte effectivement sur des activités connexes ou complémentaires.
Le bailleur a seulement la possibilité, dans un délai de 2 mois, d'informer son locataire qu'il conteste la qualification d'activité connexe ou complémentaire. En cas de silence du bailleur pendant ce délai de deux mois, l’extension est acquise et le propriétaire ne pourra plus s’y opposer par la suite.
3. Effets sur le montant du loyer
La déspécialisation partielle ne peut justifier une augmentation immédiate du loyer. Mais elle peut être prise en compte lors de la première révision triennale suivant la notification au bailleur de la demande de déspécialisation. Cela est possible si les activités adjointes ont entraîné par elles-mêmes une modification de la valeur locative des lieux loués.
L’augmentation est possible immédiatement mais le propriétaire devra alors renoncer à la prochaine révision triennale du loyer.
4. Les sanctions de l'extension irrégulière d'activité
La résiliation du bail : sur le fondement d’une éventuelle clause résolutoire insérée dans le bail ou résiliation judiciaire du bail. Cette dernière est soumise à l’approbation des tribunaux qui, en pratique, estiment assez fréquemment que le manquement du locataire n'est pas suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire.
Refus de renouvellement du bail : l'extension irrégulière d'activité peut être sanctionnée par un refus de renouvellement du bail sans indemnité d'éviction.
La déspécialisation plénière
La déspécialisation totale ou plénière consiste en un changement d'activité. Il s'agit d'une véritable transformation du fonds de commerce, soit par une modification complète des activités, soit par l'adjonction d'activités nouvelles qui ne sont pas considérées comme connexes ou complémentaires.
Dans ce cas, il ne s'agit pas d'un droit acquis au locataire. La déspécialisation totale est subordonnée à un accord exprès du bailleur, qui peut s'y opposer en invoquant des motifs qui lui sont personnels.
Par ailleurs, les créanciers inscrits et les colocataires bénéficiant éventuellement d'une clause d'exclusivité, doivent obligatoirement être informés de la modification souhaitée afin d'avoir la possibilité de faire préserver leurs intérêts.
1. Conditions de fond
A. Qui peut bénéficier de la déspécialisation totale ?
Le locataire ou le cessionnaire d'un droit au bail.
En cas de déspécialisation au cours des 3 dernières années du bail, cette déspécialisation ne fait pas obstacle au droit de renouvellement, et l'on tient compte de la durée d'exploitation préalable à la transformation.
Le sous-locataire
Il peut demander la déspécialisation totale à condition que son sous-bail soit régi par les dispositions des articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce. Dans ce cas sa demande sera adressée au locataire principal, qui a, à son égard, la qualité de bailleur. Le locataire principal, lui-même tenu à l’égard du propriétaire des locaux par la clause de destination du bail initial, devra quant à lui adresser une demande de même nature au propriétaire.
Le premier locataire d'un local situé dans un centre commercial est exclu du bénéfice de la déspécialisation plénière par l'article L. 145-48, alinéa 2 du Code de commerce, et cela pendant une durée de 9 années.
B. Conditions tenant au commerce
Le droit de déspécialisation totale est subordonné à l'exercice d'activités nouvelles appréciées en fonction de la conjoncture économique et des nécessités de la distribution.
Il appartient par conséquent au locataire de démontrer que, compte tenu de ces critères, l'activité jusqu'à présent exercée est inadaptée ou insuffisamment rentable et que les activités nouvelles s'imposent.
L'activité envisagée doit être compatible avec la nature de l'immeuble, avec le caractère et la situation de l'immeuble : par le biais de cette exigence, la destination générale de l'immeuble ne doit pas être affectée par le changement de commerce.
2. Conditions de forme
La demande d'autorisation de déspécialisation totale doit être préalable au changement d'activité :
- elle doit être adressée au bailleur par exploit d'huissier ou par lettre recommandée avec accusé de réception et comporter, sous peine de nullité, l'indication des activités envisagées ;
- la demande doit être adressée en la même forme aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce (ceux qui ont un nantissement) ;
- la demande de déspécialisation totale doit également être transmise par le bailleur, par exploit d’huissier, dans le mois de la demande du locataire, aux autres locataires envers lesquels le bailleur se serait éventuellement obligé à ne pas louer en vue de l'exercice d'activités similaires à celles visées dans la demande (locataires bénéficiant d’une clause d’exclusivité).
3. Réponse du bailleur
Aux termes de l'article L. 145-49 du Code de commerce, le bailleur a un délai de 3 mois pour signifier au locataire son refus catégorique, son acceptation ou encore les conditions auxquelles il entend subordonner son accord.
Aux termes de l'article L. 145-52, le Tribunal de Grande Instance peut autoriser la transformation totale ou partielle malgré le refus du bailleur, si ce refus n'est pas justifié par un motif grave et légitime. C'est donc au propriétaire des murs de démontrer que son refus repose sur un motif grave et légitime.
En outre, selon l'article L. 145-53, le bailleur peut s'opposer à la transformation du fonds s'il justifie qu'il entend reprendre les lieux à l'expiration de la période triennale en cours en application des articles L. 145-18 à L. 145-24 (c’est-à-dire pour construire ou reconstruire l’immeuble existant ou effectuer des opérations de surélévation de l’immeuble) ou pour exécuter des travaux prescrits dans le cadre d’une opération de rénovation urbaine ou de restauration immobilière.
Le bailleur peut aussi faire valoir un engagement qu'il a éventuellement pris à l'égard d'un de ses autres locataires auquel il aurait promis une exclusivité de sa branche commerciale ; une telle clause d'exclusivité est fréquemment reconnue par la jurisprudence comme constituant un motif grave et légitime.
En cas de désaccord, il appartiendra au Tribunal de Grande Instance de trancher la difficulté entre les parties.
En cas de silence du bailleur pendant ce délai de 3 mois, son acquiescement est présumé et le preneur peut transformer son activité.
4. Compensations pour le propriétaire
Le bailleur, à qui est imposée l’extension d’activité, est en droit de prétendre à un loyer plus élevé et, cela, dès que la transformation est réalisée. Une nouvelle valeur locative pourra être déterminée, sans plafonnement dès lors que le changement de commerce donne une plus-value réelle aux lieux loués. Cette modification pourra être faite dès l’octroi de l’extension d’activité, sans qu’il soit nécessaire pour le propriétaire d’attendre la prochaine révision triennale.
Le bailleur peut également bénéficier d’une indemnité, s’il est établi que la nouvelle activité lui occasionne un préjudice. Mais dans ce cas, ce dernier peut aussi s’opposer au changement.